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Liberté, Egalité, Fraternité, Dignité

Photo du rédacteur: Muriel CoutantMuriel Coutant

(Tribune pour honorer les Pratiques Narratives)


"Je vous souhaite à tous, à chacun d'entre vous, d'avoir votre motif d'indignation. C'est précieux. »

(Stéphane Hessel ; Indignez-vous)


Il aura fallu attendre la fin de la Seconde Guerre Mondiale pour que le Conseil Constitutionnel reconnaisse le principe de dignité et le protège comme droit fondamental. Il s’agit là de dignité humaine, principe protégeant toute personne contre les actes dégradants ou inhumains qui pourraient la rabaisser au rang de chose.


Il est facile d’imaginer quelles exactions commises dans la première partie du XXème siècle ont pu mener à cette décision d’élever la dignité comme l’un des principes fondamentaux de la paix dans le monde.


Aujourd’hui, l’étendard de la dignité flotte sur de grands discours politiques, philosophiques et scientifiques.

Au nom de cette valeur, nous communions un bref instant, unis Place de la République dans des cortèges indignés par la barbarie terroriste ou par l’injustice sociale, en gilets jaunes. Le principe de dignité, à l’instar de notre humanité, nous réunit quand il est bafoué.


Je souscris absolument à de nombreux combats en faveur de l’inclusion et de la diversité : pour la dignité des femmes, de tous les genres, du grand âge, des ethnies, des précaires, des malades incurables qui souhaitent partir en paix et dignes jusque dans leur mort, … Mais il reste une grande oubliée : la dignité de chaque personne dans son contexte familial, dans son corps, dans son travail, dans ses études, dans son pays, dans son enfance ou tout simplement dans ses relations.


Loin des discours et des mouvements de foules, je m’interroge sur l’indifférence générale à ce que j’appelle « la dignité ordinaire ». 

Autrement dit, pourquoi cette sensibilité humaniste contemporaine qui consiste à manifester notre indignation collective, n’a-t-elle pas véritablement imprégné notre quotidien ? A l’échelle de l’individu, et dans la grande lessive médiatique, tout devient ordinaire : un licenciement, une gifle, un burn-out, un échec scolaire, une incivilité, un service d’urgences débordé, un cancer, …


Cette dignité « ordinaire » n’en porte que le nom, et n’en est pas moins essentielle à nos vies.

Il suffit d’écouter les histoires de problèmes dans nos conversations, les plaintes des personnes abimées par une expérience indigne, la blessure d’un jour qui affecte leur confiance à venir, pour comprendre en quoi l’approche proposée par Michael White et tous les praticiens narratifs répond au plus juste à la brutalité de notre époque et probablement encore davantage à notre futur. Un futur qui s’annonce gorgé d’innovations, et beaucoup moins de progrès (cette avancée pour le bien collectif de l’humanité).


C’est cet engagement presque politique, que je souhaite offrir à la vie des autres. Parce qu’une dignité entamée, même ordinaire, me révolte. Parce qu’une simple écorchure mal soignée peut s’infecter, comme un simple accroc à la dignité peut générer de grandes souffrances. Si mon petit atelier d’artisan narratif peut accueillir ces personnes et restaurer leur dignité, alors ça vaut la peine d’affûter mes outils.


J’ai d’abord endossé le tablier de jardinier pour contribuer à faire pousser les jeunes dans le sens du soleil.

Lorsqu’ils sont propulsés à tout juste vingt ans dans des études ou un début de vie active qui ne leur correspondent pas, certains se replient dans l’ombre, voire l’obscurité. Si leur histoire dominante s’appuie sur une histoire de déception des parents ou du corps enseignant, ils sombrent et fanent, à peine éclos. Restaurer la dignité à l’aune de leur vie d’adulte, en cultivant leurs espoirs et leurs savoirs, en semant les graines d’une trajectoire de vie conforme à leurs rêves, en protégeant sous serre ce qu’il y a de merveilleux en chacun d’entre eux, nourrit mon désir de contribution au futur.

J’accompagne des jeunes pourtant plutôt favorisés, dont la dignité tient dans le seul regard de leur famille, souvent disqualifiant, comparés et évalués sur l’échelle du statut social acquis par la fratrie ou des brillants diplômes projetés sur leur berceau. Quand Cyprien rêve d’un contrat d’apprentissage en cuisine, alors qu’il devait débuter un mastère de droit, ou bien quand Dorine échoue au concours de médecine et que celui-ci n’offre plus de deuxième chance, la déception de l’entourage pèse anormalement sur l’estime d’eux-mêmes. Et l’entourage d’ajouter « c’est pour ton bien », « nous nous faisons du souci pour toi », « heureusement, ta sœur est sortie d’affaire »,…

Il convient alors d’élargir le club de vie à d’autres modèles, héros, sources d’inspiration pour éradiquer le dysfonctionnement qui menace d’opérer. Pour avoir accompagné de nombreux jeunes de 20 à 24 ans, je saisis combien « l’absent mais implicite » compte dans la construction d’une jeunesse peu écoutée, réduite aux stéréotypes d’un « manque d’engagement au travail », et pourtant sacrifiée pendant la crise Covid au bénéfice des anciens, et pourtant plus que jamais impliquée dans la valeur « travail », en lui donnant une toute autre perspective : celle de « travailler pour vivre » et pas le contraire. Cette jeunesse récuse la relation d’aliénation de leurs parents au travail pour la transformer en une relation saine, contractuelle, flexible, intelligente, environnementale, sociale et respectueuse. Je continue et continuerai à soutenir ce paradigme du futur.


Puis, j’endosse le tablier de cuir, épais et solide, mâtiné par les années de labeur, le tablier de l’expérience qui a survécu à l’indignité d’un licenciement brutal, à l’injonction de performance et de  croissance infinie en entreprise, à la maladie et au coma. "Tomber 7 fois, se relever huit", disait P.Labro. J’ai survécu aux accidents de la vie et à l’indignité ordinaire ; j’ai acquis un savoir-faire d’initié. C’est une histoire de compagnonnage et de transmission, dans laquelle j’ai évolué d’aspirant à apprenti dans une itinérance éducative qui a parfois pris l’apparence d’une errance existentielle. Pour moi, l’école de la vie est une formation à l’autonomie et au bien vivre ensemble. Une forme généreuse de contribution au savoir être humain qui permet d’honorer ceux qui nous ont inspirés autant que ceux auxquels nous transmettons les secrets d’une vie digne. 

Qui a peur des étincelles ne devient pas forgeron !

J’accueille donc les histoires d’identités abimées par un irrespect ordinaire, non seulement poliment ignoré, mais surtout savamment orchestré par des politiques culpabilisantes. Tandis que les lois, les décrets, les amendements et les normes se multiplient au profit d’un prétendu « bien vivre ensemble », les relations se délitent, la confiance s’émousse, le harcèlement prospère, l’exclusion sociale et ethnique se banalise.


En 2024, Emile Zola ne saurait plus où donner de la tête !


Il existe par exemple un décalage étonnant entre l’intention politique du « plein emploi » et la progression de l’âgisme en entreprise, assortie de mesures coercitives envers les droits des seniors qui ne retrouvent pas d’emploi. Pointés du doigt par les grands argentiers, ils ajoutent à leur honte une dégradation de leur qualité de vie. Synchronicité cynique, cela se produit précisément quand les enfants partent du domicile familial. Tous les repères s’en trouvent bouleversés. Entre détresse et solitude, leur carrière ressemble à une céramique brisée au sol, qu’ils déclarent définitivement inutile.


 Il existe aussi un écart entre l’exigence de parité au travail et la charge mentale de femmes actives, moins rémunérées que les hommes, opérant trois journées en une seule, victimes d’un burn-out pour 42% d’entre elles. Souvent, elles pleurent sur leur échec coupable, et oublient de pleurer sur leur propre souffrance. Quand le mari ou le manager leur demandent « de prendre un peu sur elles », elles s’écroulent sous le poids d’une dignité déchirée.


Il existe encore un précipice infranchissable entre les valeurs affichées de certaines entreprises, leurs gains démesurés et le traitement économe qu’elles réservent à leurs salariés, qui eux se débattent dans un quotidien inflationniste pour préserver leur « dignité ». L’écart scandaleux de revenus se creuse entre 99% de la population et 1% d’ultra-fortunés, plongeant chacun dans la perplexité de sa propre dignité. C’est le terreau d’une autre violence : la révolte des anonymes, des laissés-pour-compte, les grèves à l’hôpital ou à l’école, la désobéissance civile,…

La dignité et la paix ont en effet un lien indéfectible.


Il existe tant de situations qui plongent la dignité dans l’abîme…


Ces publics (les seniors au rebut, les femmes épuisées, les travailleurs invisibles, et globalement tous ceux qui ont une intention pour leur vie, mais bloqués dans l’inertie de leur condition…) méritent un bel ouvrage fabriqué avec leurs talents, leurs résistances, leurs expériences, leurs savoirs reliés entre eux par des fils d’amitié, d’amour, d’émotions et de fierté.  A l’instar du maître Kintsugi, je préfère donner à voir chaque morceau brisé comme la facette d’un talent inexploré qui trouvera sa place dans la céramique réparée. Une restauration à la feuille d’or qui en révèle la beauté cachée.


J’enfile mon tablier de Praticienne Narrative sur une première robe de coach. Il est finement tissé, à la fois enveloppant et aérien. Il ressemble à celui d’un sculpteur ou d’un peintre impressionniste. Celui d’un artiste donnant à voir une nouvelle réalité, par simples touches de couleurs, par effets de reliefs quand la spatule sublime les creux entre les courbes. Je déplie les histoires et honore l’œuvre restaurée.


Une œuvre unique et singulière, artisanale, patiemment échafaudée, consolidée, magnifiée, érigée et exposée au grand jour avec dignité. L’œuvre de la reconversion professionnelle, l’œuvre de la résilience au traumatisme, l’œuvre de la réconciliation avec sa famille, l’œuvre de s’adonner à sa passion, l’œuvre de s’engager pour une cause et une communauté, etc…


Accompagner ces publics à saisir les fines traces de leurs histoires préférées, et les faire advenir. Dans un cadre thérapeutique, comme en coaching, il s’agit de « réparer les vivants »*.


Mais aussi, raconter, écrire, témoigner, s’indigner, réunir, influer, restaurer, .... Publier autrement, écrire le roman du réel et honorer la dignité ordinaire.


Voilà mon intention.


*Réparer les vivants (Maylis de Kerangal - Folio)



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