Dystopie.
Je découvre ce mot. Je l’observe sous tous les angles, le respire, le met à distance, lui attribue mentalement une photo en noir et blanc. Il est froid. Arrogant ou savant avec son « y », mais un peu moins que « psychanalyse » qui en contient deux (« y »). Il appartient à la communauté des « dys » (lexiques, orthographiques, graphiques, …) et s’en révèle troublé et troublant.
Dystopie : un genre de Voldemort du dictionnaire.
Etrange : j’ai fait des études, je suis curieuse, et je découvre DYSTOPIE, dans sa fulgurante majesté, seulement aujourd’hui. J’ai vu « Blade Runner », j’ai lu Huxley, Orwell, Barjavel, Kafka et même Auster, les maîtres du genre qui n’ont pourtant pas prononcé ce mot. Ils ont construit la dystopie, chacun à leur façon, sans la nommer. Dystopie : un genre de Voldemort du dictionnaire.
Aux poètes de la Terre.
Je l’entends d’abord dans une conférence, puis une autre, d’Aurélien Barrau, astrophysicien (avec « y ») et philosophe (sans « y »), poliment applaudi et cordialement ignoré comme tous les poètes de la Terre. Je le croise ensuite dans la lecture de l’Homme augmenté de Raphaël Gaillard qui lui oppose le mot « hybridation » (encore un « y »), ce qui ne me rassure pas vraiment. Puis, viennent les infos et les interviews du quotidien : chacun « y » va de sa dystopie, de sa vision apocalyptique (« y ») du monde, « y » compris s’agissant de la crise agricole ou du harcèlement scolaire. Nous sommes loin d’un monde imaginaire. A l’heure de l’émerveillement de la découverte et de l’époussetage du mystérieux trésor, je pressens, comme l’archéologue victorieux, la dimension sacrée du mot dystopie et ne cède pas à l’exploitation facile et galvaudée du terme.
Clair obscur.
Je m’y perds. J’écris sur un document Word : dystopie.
Même Microsoft réfute ce mot : il le souligne en rouge, indiquant une éventuelle faute d’orthographe qu’il ne sait remplacer autrement que par un mot tout à fait différent, insignifiant. Essayez. Microsoft réfute la dystopie !
Reste la définition du dictionnaire : « Récit de fiction qui décrit un monde utopique sombre. » Une utopie sombre, donc. Nom féminin, qui plus est. Mais fictif, tout de même ! La dystopie serait la négation fictionnelle d’un Etat idéal.
Alors, 1984, le Meilleur des mondes, le voyage d’Anna Blume, La ferme des animaux, Ubik, Le procès, et bien d’autres, seraient le fruit de cette attraction vers l’obscur. Le rêve prémonitoire du pire ? La tentation enfantine de jouer à se faire peur ?
C’est peut-être la raison pour laquelle j’ai oublié d’entendre et de comprendre ce mot jusqu’alors. Baignée dans l’éducation utopique d’un monde meilleur à venir, il semblerait que les mots « menace », « oppression », « intrusion », « déstabilisation » me fassent horreur.
Je laisse à d’autres l’art de la fiction spéculative vers le chaos, et intègre néanmoins la possibilité d’une dystopie dans mon vocabulaire.
Sait-on jamais.
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